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Lycée Montesquieu, Bordeaux

Carnet de M. E. Howard

J’ai retrouvé le journal du sergent M.E. Howard mon arrière-grand-père lors de ma visite à New York. C’était le journal de ses années de guerre quand il fut incorporé fin 1917. Il y avait aussi son practical-guide de Bordeaux son lieu d’affectation.

Dans ma famille on en parlait comme d’un musicien de jazz.

 

 

 

Jeudi 27 décembre 1917  

  Vérifier la date d'arrivée de l'Orléans.

Enfin débarqué à Lormont en face de Bordeaux.

En fait je vais être incorporé au 369e régiment de l’armée française, pas question de porter l’uniforme américain,

ce n’est pas pour nous, les indiens oui mais pas nous.

A bord nous imaginions les sous-marins allemands, on attendait la torpille. On ne connaissait rien ni des Français, ni des Allemands.

Nous sommes un contingent de noirs du vieux Sud, des champs de coton, nous chantons notre blues, nous remplaçons notre esclavage par notre liberté d’improvisation, nous jouons du Jazz, ça veut dire « Bazar » ou «  Bordel  », c’est le nom qu’ont trouvé les blancs.

 

Dimanche 30 décembre        

A peine nos godillots posés en France, les problèmes commencent : "pas de planqués chez les Noirs...

mais pas de Noirs armés, chez les Sammies!"

Nous, les Noirs américains étaient pourtant venus en découdre...

mais c'est sous le casque et la capote français et armés d'un Lebel que nous serions soldats!

Et là, ça a été le choc : Egaux des soldats français, partageant le corned-beef que ces cinglés appellent " le singe"

et nous préparant à dormir dans les mêmes cagnas!

Et quelles parties de rire...impossibles à imaginer avec des Sammies!

En attendant il a fallu se loger à Génicart, au Courneau et à Beaudésert... puis nos bras n'ont pas tardé à construire

débarcadères, appontements et ballast...

Sinon nous avons été très bien reçus, parades, discours,

drapeaux, et du monde, du beau monde.

 

 

 

Dimanche 24 février 2018

Depuis la Baranquine, première des trois gares de New Bassens,

quel spectacle : les rives du fleuve sont d'acier et de béton bleu.

Du dépôt de Sabarèges monte le bruit : 60 locos éventrées

puis remontées par nos mécanos

aux côtés de Français, de nuit comme de jour!

Un peu de repos.

Depuis un mois c’est le travail 24 heures sur 24,

construire un port pour recevoir 10 cargos de 125m de long,

10 hangars de 1500m2, monter les grues …

planter les pieux, décharger, vider les poubelles,

on ne nous donne pas le boulot facile,

c’est ce que les blancs ne veulent pas faire,

Mais nous le dimanche, on s’éclate, on tape le bœuf,

parfois le soir si on n’est pas trop crevé.

Et pour le 1e de l’an c'était géant, j'ai dansé comme un fou!

 

Vendredi 22 mars 1918

Le train nous a conduits sur le terrain : plus de 200 hectares débarrassés de tous les pins, c'est un désert pour sûr!

Pour «   le meilleur hôpital de France..." comme dit Pershing,

il faut dresser, plus de 600 bâtiments et abriter 20 000 lits,

car la bataille promet d'être féroce.

C’est le printemps, je suis depuis une semaine aux cuisines

de cet hôpital, c’est gigantesque, vraiment !

Les Allemands viennent de lancer leur grande offensive du printemps,

et l'on voit arriver déjà les blessés….

Amputés, gazés, défigurés; ou morts déjà, pour certains.

 

 

 

 

 

 

 

Lundi 1e juillet

J’ai trouvé le moyen de quitter l’hôpital pour ce bayou du Médoc,

au bord du lac, au Moutchic, Peter, le mécano, m'a appris à vidanger, caler l'allumage, et régler les tiges de culbuteu :

quelle mélodie ces "huit cylindres"!

Bon bien sûr, ce sont les blancs qui pilotent....

Quel terrible hiver nos mains gèlent, nos poumons se noient.

Les Français, démoralisés par les deuils,

leurs gueules-cassées et leurs amputés,

s'émerveillent de voir nos escadrilles au-dessus de leur tête. 

Ils font de grands signes, nous encouragent :

on est là pour repérer les sous-marins ennemis,

mais on leur amène surtout un émerveillement d'enfant

et peut-être un peu d'espoir.

Depuis début 1918, pour moi comme pour eux

l'espérance est d'en finir grâce à nos machines et à notre industrie... d'après ce qu'on dit : " Pershing et Pétain

préparent notre montée au  front !"

 

 

 

Jeudi 25 Juillet 2018

C’est parti, nous y allons - au Front - avec nos locos sur nos rails,

posés par nos bûcherons!

Mais c'est avec des armes et des uniformes français

que nous gagnons nos positions ...

Nous les Noirs détenons le terrible record

de présence dans les tranchées des Sammies :

12 mois pour certains, la croix de guerre pour quelques-uns...

mais ne rêvons pas trop, ni l'Amérique ni son armée

ne valoriseront ces exploits !

Mais ici, en France nous avons découvert

que la couleur de peau n'empêchait ni la fraternité ni même l'amour.

Malgré les horreurs cet espoir s'est rapproché

et notre musique les fait danser!

 

 

 

 

 

 

Vendredi 3 janvier 1919

 Je n’irai pas au grand défilé de Janvier 19 à New York

car j’ai rencontré l’amour de ma vie en revenant à Bordeaux sain et sauf,

c’est Pierrette, de Bacalan…

Pour les copains, la fête du retour a été de courte durée :

arrivés au foyer ça a été encore racisme et ségrégation et même, d’odieux lynchages dans les Etats du Vieux Sud,

je viens de recevoir une lettre...

Mais j’amènerai Pierrette là-bas dans mon pays,

plus tard, on verra bien... 

Je joue demain soir Place Thiers

au bout du Pont-de-Pierre

dans un dancing…

"Blues" -
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New Orleans -
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Work song - nknown Artist
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